04/04/2012

A l’heure du croisement des courbes

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

Un jour, Facebook dépassera Google en apport de trafic.

Ceci n’est plus une prédiction, c’est une réalité bien tangible notamment mise en exergue par Frédéric Filloux dans sa Monday Note de la semaine dernière. L’exemple était le Guardian, avec le croisement des courbes où Facebook prend le pas sur Google comme affluent principal.

J’ai lu très peu de choses là-dessus et j’en suis surpris. C’est quand même un retournement important. A moins que nous soyons tellement convaincu de la prise de pouvoir du participatif que ce ne soit que le fait qui valide l’idée reçue.

Il est patent de constater que le phénomène se développe avec le lancement de l’application du Guardian sur Facebook. L’on a tendance à oublier que Facebook est un vieil exemple de plateforme applicative et qu’il n’y a pas que des jeux sociaux qui s’en servent. Le point important selon moi ne réside cependant pas dans ce choix, mais dans celui de faire le pari de l’engagement de son public sur Facebook versus celui de l’acquérir chez Google. Car après tout, SEO et SEM ne se produisent pas sans effort ni moyens, tout comme Facebook n’est pas gratuit au regard de l’animation voire des développements qu’il faut y faire.

Faire le pari de l’engagement de son public sur Facebook, c’était également celui des changements importants apportés par Facebook, dont nous avons surtout retenu la timeline. Suffisamment de semaines se sont écoulées pour en juger et ce que relèvent les analyses est justement que l’engagement des fans est significativement plus important, mais que cela ne génère pas de nouveaux fans en soi.

Quitte à caricaturer un peu, nous aurions donc ici deux modèles :

  • l’un issu de l’époque où le net était en émergence, et où l’acquisition de l’audience était seule véritable priorité : Google. Un acteur de la publicité.
  • l’autre qui s’inscrit dans un internet de la maturité, où l’enjeu est moins d’acquérir que d’engager : Facebook. Un acteur de la relation et de la recommandation.

Finalement, la première idée qui m’est venue en regardant ces courbes se croiser, c’est que le Guardian n’avait plus vraiment besoin de Google. Je ne veux pas dire que le SEO ne lui sert à rien, au contraire, mais je veux dire que l’acquisition d’audience en soit ne me paraît pas du tout le but premier de sa stratégie présente. Si l’on se place il y a ne serait-ce que 5 ans, dans un internet encore en croissance et constitution, ce n’était pas le cas. Les médias se battaient pour constituer leur audience web et il fallait aller la chercher. Aujourd’hui, j’ose espérer que le Guardian a fait ce travail et l’enjeu pour lui est évidemment de mieux transformer ce potentiel. Chacun sait que la première richesse commerciale est de toute façon de performer sur sa base client installée. D’ailleurs, si l’on considère la montagne d’initiatives et d’innovation du Guardian, notamment dans le journalisme des données, j’y vois la recherche d’un positionnement moderne et de s’incarner comme un véritable média du XXIe siècle.

J’ai presque envie de dire que Google reste un acteur de la publicité, quand Facebook serait un service de l’économie de l’attention où la distribution, ce sont les gens qui la font.

L’engagement et la recommandation, la pollinisation, c’est le pari de la force des liens entre les gens et de l’intelligence à se connaître et se recommander. Il faudra encore longtemps pour qu’un robot fasse aussi bien, si tant est que nous fassions confiance à un robot autant qu’à une personne singulière sinon un ami. Et puis surtout, il y a en arrière plan l’économie de l’attention au sens de la saturation informationnelle. Chacun d’entre nous est ou sera confronté au moment où il sera évident pour lui qu’il ne plus lire tout ce qu’il reçoit. C’est typiquement le cas sur Twitter, où l’on passe dans le côté obscur le jour où l’on embrasse vraiment le flux en s’abandonnant à lui et en renonçant à tout lire. A ce stade, certaines personnes, où certains vecteurs dans certaines circonstances comptent plus pour vous que le reste. Au passage, vous arrêtez de chercher, les choses viennent à vous. Sinon , je veux bien des nouvelles de Twitter sur ce terrain …

Je crains donc que nous n’assistions donc déjà aux conséquences de la victoire de Facebook et de ce qu’elle implique sur Google en particulier, qui n’a pas réussi à se déplacer sur le marché de l’engagement. Je ne suis pas inquiet pour Google, je crois par contre que son pinacle est derrière lui. Google est à mon sens resté enfermé dans le monde des geeks, la sphère dans laquelle Google+ est enfermé d’ailleurs.Il y a deux ans, j’avais écris Facebook ou le crépuscule des geeks. Je constatait que Facebook avait gagné la bataille du web social et qu’un des vecteurs de cela était ce que l’on appelait Connect à l’époque, remplacé aujourd’hui par OpenGraph, la chose qui branche vos services sur les gens et leur tissu relationnel.

En 2005, Simon Waldam, du Guardian a dit Nous ne pouvons plus nous contenter d’être présents sur la toile, nous devons en faire partie. Je crois que ce à quoi on assiste aujourd’hui n’en est qu’une forme d’accomplissement, même si c’est pour passer d’un intermédiaire d’acquisition (Google) à un intermédiaire d’engagement (Facebook) et à la soumission de leurs règles réciproques et mouvantes, des marchés de services qu’ils représentent.

Acquérir de l’audience, c’est bien, se connecter aux gens et travailler leur engagement, là est le vrai challenge, là est la réussite.

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