08/26/2014

[Billet anniversaire] en regardant passer l’aménagement numérique du territoire

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

Le 26 août 2004, il y a dix ans, je publiais le premier billet de ce blog  Notre passion et notre entrisme des usages nous poussait à embrasser totalement la vague naissante du web 2.0. Twitter n’existait pas, Facebook encore moins, personne ne se préoccupait d’identité numérique alors. Publier directement et simplement, palabrer par commentaires interposés ouvrait des horizons immenses. Ce n’était que le début d’une vague IMMENSE. Mesurons ensemble le chemin parcouru !

Dans ce premier billet de 2004, je partageais quelques impressions de retour de l’Université de la Communication d’Hourtin. Un grand raout de fin d’été, où l’on croisait ministres et communicants de tout poil et qui a me semble-t’il inspiré les université d’été des partis. A son détriment puisqu’il a disparu depuis.
Le sujet d’alors était notamment la fracture numérique, sous le thème général des « territoires ». C’est très amusant car, exactement dix ans plus tard, je me retrouve à participer au 9e RuralTIC, le rendez-vous des territoires et du digital.
Sébastien Cote a donc bien fait les choses en m’invitant à nouveau à jouer le trublion de service dans une table ronde sur le thème de l’économie numérique et des territoires. D’autant plus qu’il s’agissait pour moi de réagir à chaud, fort des débats de la journée. Axelle Lemaire était attendue, mais le remaniement l’a retenu à Paris. Tant mieux, cela a laissé de la place.

Vers 2004 j’étais un garçon très actif sur les questions d’aménagement numérique du territoire. Une fois les dynamiques locales engagées, j’avoue avoir placé ce sujet au second plan de mes centres d’intérêts, considérant que les usages et ce que font les gens est nettement plus intéressant. Je suis donc arrivé à ce RuralTIC avec l’idée de mesurer le chemin parcouru.
Il y a dix ans, et même un peu plus, on attendait tout de l’Etat. Une petite décennie après la libéralisation du marché des télécoms, la nostalgie d’un opérateur historique aménageur du territoire jusqu’au bout du fin fond de la France battait à plein. Les « autoroutes de l’information » servaient d’image à quelques élus qui avaient compris (hommage à Robert Savy de rigueur). A côté de cela, « les usages » était le mot magique de tout atelier, conférence ou talk qui se respectait. Personne n’a jamais su ce que c’est « les usages », si ce n’est que cela fait vendre de la prise et du débit. Business avant tout.

Dix ans plus tard, arrivé au château de Vixouze (très joli), le premier constat est que, Axelle Lemaire ou pas, on se marche sur les pieds tellement c’est gavé. Le sujet est donc visiblement toujours très chaud.
Il y a dix ans, on rêvait d’ADSL, là les élus affichent leurs calendrier de déploiement massif de la fibre. Il y a dix ans, 512kbps était un fantasme dans d’énormes parties de la France. L’enjeu du jour est du 8mbps à horizon de la fin de la décennie. Des élus signent une convention dans ce but avec un prêt à 2% sur 24 ans de la Caisse des Dépôts. Mon voisin (entrepreneur lui aussi) et moi-même nous regardons sidérés, conscients que les mensualités de dans 24 ans payeront quelque chose dont des archéologues du numériques d’alors chercheront les traces.
Quelqu’un explique qu’il y a plus d’une centaine de modèles et autant d’acronymes de documents pour définir la stratégie numérique des territoires. Un intervenant ose dire que l’on est encore dans l’expérimentation question gouvernance. Blanc. Le bullshit bingo bât son plein et j’apprécie Alain Lagarde qui fait l’effort de décoder chaque acronyme qu’il utilise.
Le patron d’un des principaux opérateurs de gros prend le micro et dis sous l’acquiescement général que couvrir la France coûte 30Md€ et que pas un n’a encore été décaissé. Que cela fait quinze ans que ce chiffre existe, autant de temps que de « grands plans » de l’Etat pour aménager ce pays. Je pense à Jean-Michel Billaut qui se bat contre des moulins à vent dans les Yvelines. Quelques heures plus tard, le représentant du plan actuel se félicite de survivre aux changements de gouvernement et annonce fièrement avoir engagé un demi-million d’euros. 30Md€ disait l’autre.
L’importance d’avoir un élu en charge du numérique est rappelé en boucle. On nous explique qu’il faut faire la « pédagogie des usages », pour convaincre les élus de faire le chèque de l’aménagement. S’en suit un vaste débat de l’oeuf et de la poule, des usages et des infrastructures. J’ai des images de raffinerie dans la tête.
Le représentant de la fédération de maires ruraux fait le rêve que chaque commune de France ait un site web. Nous en sommes encore très loin. Pour les PME aussi d’ailleurs.
Et au milieu de tout cela, quelques jaillissements. Des histoires de startup dans des prés, d’usine numérique à la campagne, de choses qui racontent que des tas de gens font des choses incroyable aux quatre coins de la France. Des gens. Un gars du nord raconte ses ateliers de toy-hacking et d’apprentissage du code sous Scratch  vec des écoliers le mercredi après-midi. On reparle des ateliers d’écriture avec Twitter  On nous explique avec force étude que les villages qui ont un « télécentre » gagnent des tas d’habitants.

Finalement, rien n’a changé et tout a changé

Rien n’a changé car La France a la nostalgie de l’Etat aménageur et c’est un pays qui a l’Egalité bien inscrit au frontispice. Les élus ont du mal avec un numérique qui n’est ni une putain de route ou un bâtiment bien en dur. L’internet ne fait pas circuler de camions disait mon ancien maire.

Et me voilà donc, venu leur dire que l’internet grand public a déjà un quart de siècle, que la société, les gens, ne les ont pas attendus. Ils cherchent des usages et je leur parle du séisme idéologique et socio-économique que représente l’économie du partage. Je leur dit que l’internet a disparu, que les gens s’en servent et n’y pensent plus, que c’est une évidence. Et avec quelques-uns nous tombons d’accord pour dire que tout cela est simplement culturel et que le drame, c’est que nos élites n’ont pas cette culture là. Finalement, il n’est plus question que de « modernité ».

On me demande un mot de la fin. Je dis que « l’avenir nous appartient ». Car par dessous la surface que je viens de décrire, j’ai ressenti quelque chose d’intense. Quelque chose a changé depuis dix ans. Ce quelque chose est un courant de profondeur que traduisent des mots et des inclinaisons dans le discours des volontaristes venus ici : n’attendons pas, avançons ! Des mots que l’on retrouve dans la bouche de grands élus et notamment de René Souchon.
Le discours des représentant de l’Etat raisonnait dans le vide. Les paroles et les histoires des faiseurs de tout poil rencontraient la chaleur et le bruit de l’attention. La France d’en bas se prend en main, elle n’attend plus la solution d’en haut. Sous l’immobilisme, ça bouge de partout !

Par Alexis MONS

 

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