04/15/2009

Par ici la sortie

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

Qu’est-ce que c’est que la crise si ce n’est la remise en question crue et douloureuse des anciennes certitudes, des anciens modèles ? Et le fait est que celle dans laquelle nous sommes appuie vraiment très fort là où ça fait mal.


J’ai souvenir de ces vastes débats sur les nouveaux modèles de ceci ou de cela, sur les mythes du gratuit, de la monétisation publicitaire tous azimuts sur fond de course à l’audience et à la taille. Tout ceci n’a accouché de rien. Les modèles établis ne se sont pas franchement remis en question. À de très rares exceptions près, ils ont considéré et traité le digital dans une optique de diversification ou comme une sorte de croûte autour de leur coeur de business, regardant les jeunes pousses s’élever avec la conviction qu’un bon coup de gel allait leur régler leur compte, ou qu’il serait temps de mettre la main dessus au cas où, en fin de compte, ce serait une bonne idée. Cela dit, à part quelques arbres qui cachent la forêt, Google en tête, il faut bien reconnaître que les résultats ne sont pas au rendez-vous, en tous les cas sous l’angle d’une grille de lecture économique traditionnelle. YouTube et DailyMotion perdent de l’argent. Le reste des observateurs de l’économie numérique n’est plus obnubilé que par Facebook et Twitter qui n’en finissent plus de grossir, sans que l’on sache vraiment pourquoi faire ?. Certains s’inquiètent du rachat annoncé de Twitter par Google, mais après tout, c’est sans doute l’ordre des choses.
La situation présente, c’est que l’ancien monde disparaît littéralement sous nos yeux, sans que son successeur ne fournisse les certitudes souhaitées, en apparence. C’est valable pour la culture qui tourne autour de la licence globale, ça l’est encore plus avec la presse, quand le constat est fait que le journalisme a de l’avenir, pas les journaux. Quand à la TV, elle parle du web avec distance et de dédain, jusqu’à sombrer dans le ridicule et démontrer qu’elle n’a rien compris.
Le vrai problème, dans le fond, il réside dans la compréhension même de ce qu’est le réseau et de ce que les gens y font. Ce que l’ancien monde semble ne pas comprendre et maintenant n’admet pas, embarquant les gouvernements avec lui sur le terrain de la répression, c’est qu’avec l’avènement du web social, s’en est fini du mainstream et avec lui d’une logique industrielle de l’information. On a fait beaucoup de cas du “temps de cerveau disponible” d’Etienne Mougeotte. Il avait raison dans le sens où son business était effectivement de promettre une attention disponible de son audience à ses annonceurs, sauf qu’en même temps, ce bien là tend à se raréfier dans un monde où l’offre est surabondante et ouverte. Le mainstream, c’est terminé. Le web n’est pas un tuyau, ce n’est pas la TV. Le web sert aux gens à se connecter entre eux, une concurrence sur l’attention disponible qui remet en question l’idée même de “publicité” au profit de choses telles que la recommandation. Et au final, ThePirateBay déroule.
Il est donc vraiment plus que temps de constater, bêtement, qu’il est évident qu’une chose qui devient surabondante perd en valeur. Et c’est bien ce qui se passe avec l’information et les contenus. Et pas depuis cette année. Cela ne veut pas dire que les gens ne sont pas prêts à payer, mais pas pour le produit, ils veulent payer pour le service, pour l’usage et le bénéfice qu’ils en tirent. L’évolution de la consommation vers l’usage plus que le bien n’a aucun caractère novateur, c’est une banalité servie depuis des années. Tous ceux qui font payer un niveau de service signifiant, du moment qu’il y ait de la qualité de service, justement, fonctionnent et sont rentables.
La crise est une chose, la mutation de la société via l’outillage des interactions sociales en est une autre, mais les deux cumulés viennent tout balayer. Howard Dean a raison de dire qu’il faut choisir entre essayer decontrôler ou faire de l’économie. C’est au coeur même de ce que sont les marques emblématiques de l’ancien monde que se trouve leur raison d’être. Elles n’ont pas à essayer de trouver dans les acteurs du web des choses à copier-coller, si ce n’est l’idée de servir plus que du service. Un journal ne vend pas du papier, ni même de l’information, il vend un esprit, une idée du monde et de la société à laquelle on adhère, avec d’autres avec lesquels on se retrouve autour de ça, pour apprendre, comprendre, s’émerveiller, se passionner. Un artiste ne vend pas des disques ni même de la musique, il vend du plaisir et la promesse d’une expérience individuelle collective, de nous faire grandir et rêver un peu. Un bon restaurant ne vend pas à manger, mais du plaisir. Certaines choses passaient au siècle dernier pour sans valeur ou abondantes. Elles ne le sont plus. Il est temps d’arrêter de ne regarder que ce qui disparaît sans voir ce qui naît et s’en saisir. Mieux vaut tard que jamais.

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