03/26/2009

Pour en finir avec les Usages

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

Visiblement impatient (nous le sommes tous), de transformer l’après-Hadopi que nous promet Nathalie Kosciusko-Morizet, Fabrice Epelboin propose un excellent panorama des sujets qui devraient être sur la table pour le développement de l’économie numérique à la française.
Pour ma part, c’est des usages dont j’ai envie de parler ce soir. D’une part parce que c’est un de mes vieux sujets de prédilection, d’autre part parce que, peu après sa nomination Nathalie Kosciusko-Morizet avait fait preuve d’un volontarisme affirmé concernant la mise en place d’une “politique des usages et des contenus” au service du développement économique, dans une interview chez MémoireVive.
Politique des usages et des contenus. Ça fait rêver, non ? D’ailleurs, faire en sorte que vos utilisateurs fassent ce que vous voulez qu’ils fassent est fondamentalement le but souhaité de n’importe quel site web. Alors pourquoi ne pas penser stimuler les internautes pour qu’ils développent certains usages ?
En fait, tout ceci participe de ces évidences qui n’en sont pas et qui ne mènent à rien. Depuis dix ans que j’entend ce même baratin, je me dis que la compréhension profonde de la nature du web, de la société et de l’économie en réseau n’a toujours pas été approprié.


Hier, en m’interrogeant sur le pourquoi écouter ses clients, je vous répondais que c’était pour les comprendre, étant entendu qu’il n’y a d’usages que parce qu’ils ont un sens aux utilisateurs, un sens tout sauf prédéterminé. Les inventeurs du téléphone l’avait pensé pour écouter l’opéra à distance, mais l’invention trouva du sens pour que les gens se parlent entre eux. Les SMS n’ont pas été inventé pour que les gens s’en envoient, ce sont les utilisateurs qui ont exploité cette fonction pour ça. Twitter n’avait aucun usage prédéterminé, mais ses utilisateurs lui en ont trouvé des milliers.
Raisonner en management des usages est en fait une vision parfaitement médiatique. Elle revient à cette vieille dychotomie entre les contenus et les contenant, entre les tuyaux et ce qui circule dedans, entre l’infra et les médias. Cette vision a échoué sur le web car coupler les deux reviens à élever des murs, là où la valeur du réseau participe de les abattre. Mais au moins, NKM a le mérite de la clarté puisqu’elle dis bien “Politique des usages et des contenus”.
Cela fait longtemps que l’on sait que l’internet ne participe pas de cette vision là. Son essence même n’est pas médiatique et le web 2, puis le web social maintenant n’a fait que révéler que c’est un réseau, pas un truc avec des gens qui émettent et d’autres qui reçoivent. Raisonner comme cela revient de toute façon à nier la notion même d’usages. Etre en usage, c’est se servir de quelque chose, pas d’être un simple destinataire passif. Et d’ailleurs, sur le web, c’est vous qui décidez d’aller au contenu, pas le contenu qui vient vers vous, sauf quand c’est du spam. Les usagers détestent le spam …
Il ne peut pas y avoir de politique ou de management des usages, parce que les usages n’appartiennent à personne d’autre que l’utilisateur qui les développent. La seule chose que vous pouvez faire, c’est faire en sorte d’amener les internautes à venir chez vous, dans un environnement pensé pour certains usages, mais sans certitude qu’ils veuillent bien les faire, qui plus est comme vous voudriez qu’ils les fassent.
Il y aurait donc peut-être une politique des usages, mais dans le sens voulu, plutôt dans celui où ce sont les usages qui font la politique (Hadopi en est l’illustration, à notre corps défendant d’ailleurs). Car ce sont bien eux qui font le résultat et c’est à l’aune de ceux-ci que vous serez jugé. Sur le web, c’est l’utilisateur qui a le pouvoir et il ne manque nullement de révoltes d’usagers et reculades des services pour rappeler ce fait.
Les politiques orientées usages, on en parlait il y a une décennie et on les a enterrées vers 2007, parce que personne ne les a mises en oeuvre. Le mot “usages” n’était que de la cosmétique de discours quand il s’agissait de couvrir la France en infrastructure. C’est normal, car sans infrastructure, pas d’usages à constater, donc bien malin qui peut les désigner. Quand à l’e-administration, elle n’a jamais été pensé en terme d’usages, mais en terme d’économies. D’ailleurs, plus personne n’en parle, car c’est juste une modalité de l’administration.
Les usages c’est ce que les gens font, pas ce que quelqu’un décide. Il n’y a pas de politique d’usages, il y a par contre une politique de développement de SERVICES. On propose un service et, s’il REND service, cela peut avoir une valeur et, pour peu qu’elle soit perçue ET qu’elle soit pertinente ET signifiante, il y a des chances qu’elle aie un certain succès.
Et c’est donc là que j’en reviens à mon propos d’hier. OUI, cela a du sens d’écouter ses utilisateurs, présents ou futurs, pas pour faire ce qu’ils disent vouloir, mais pour les comprendre, c’est-à-dire les connaître et partager leur vie concrète. C’est comme cela qu’on est à même d’identifier des sources de progrès, en tous les cas de vérifier que ceux qu’on pense porteurs résonnent avec quelque chose qui le soit vraiment pour le vécu des gens.
Raisonner en terme de services a aussi un très grand avantage, celui de parler d’innovation, là où parler d’usages revient à mettre le numérique dans une case, d’en faire un sujet. Comme je le dis souvent, il n’y a pas de stratégies numériques, il n’y a que des stratégies. De la même façon, on ne devrait pas parler de développement de l’économie numérique car il est consubstantiel du développement de l’économie tout court. Isoler le numérique dans un coin, c’est le maintenir comme un moyen et raisonner alors en terme d’outils, là où il faudrait penser business et progrès.

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